Pétition de la main gauche

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Benjamin Franklin (1706-1790). Politique et physicien américain, inventeur du paratonnerre, a un « éclair » de génie en écrivant cette pétition en 1787.

 Je m’adresse à tous les amis de la jeunesse, et je les conjure de jeter un regard de compassion sur ma malheureuse destinée, afin qu’ils daignent écarter les préjugés dont je suis victime.
Nous sommes deux sœurs jumelles, et les deux yeux d’un homme ne se ressemblent pas plus, ni ne sont pas plus faits pour s’accorder l’un avec l’autre que ma sœur et moi ; cependant la partialité de nos parents met entre nous la distinction la plus injurieuse.
Dès mon enfance on m’a appris à considérer ma sœur comme un être d’un rang au-dessus du mien. On m’a laissé grandir sans me donner la moindre instruction, tandis que rien n’a été épargné pour la bien élever.
Elle avait des maîtres qui lui apprenaient à écrire ; à dessiner, à jouer des instruments ; mais si par hasard, je touchais un crayon, une plume, une aiguille, j’étais aussitôt cruellement grondée; j’ai même été battue plus d’une fois parce que je manquais d’adresse et de grâce.
Il est vrai que quelquefois ma sœur m’associe à ses entreprises; mais elle a toujours soin de prendre le devant et de ne se servir de moi que par nécessite, ou pour figurer auprès d’elle.
Ne croyez pas messieurs que mes plaintes ne soient excitées que par la vanité. Non. Mon chagrin a un motif bien plus sérieux. D’après un usage établi dans ma famille, nous sommes obligés ma sœur et moi, de pourvoir à la subsistance de nos parents.
Je vous dirais en confidence que ma sœur est sujette à la goutte, aux rhumatismes, à la crampe, sans compter beaucoup d’autres accidents. Or si elle éprouve quelque indisposition, quel sera le sort de notre pauvre famille ? Nos parents ne se repentiront-ils pas alors amèrement d’avoir mis une si grande différence entre deux sœurs parfaitement égales.
Hélas nous périrons de misère. Il me sera même impossible de griffonner une pétition pour demander des secours; car j’ai été obligé d’emprunter une main étrangère pour transcrire la requête que j’ai l’honneur de vous présenter.
Daignez, messieurs, faire sentir à nos parents l’injustice d’une tendresse exclusive, et la nécessité de partager BenjaminFranklinégalement leurs soins et leur affection entre tous leurs enfants.

Benjamin Franklin (1706-1790)

 

lesGauchers

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