À propos du gaucher Verlaine

carte-blanche-2-490lesgauchers.com donne carte blanche à Pierre-Michel Bertrand. L’auteur de « l’Histoire des gauchers », du « Dictionnaire des gauchers » (Édition Imago) et de « Je suis gaucher » (Édition Riv’gauche) nous livre librement ses réflexions, ses découvertes, ses coups de cœur et, pourquoi pas, ses « coups de gueule ».

À propos du gaucher Verlaine
On m’a demandé des précisions sur ma précédente chronique. Les voici.

1/Comment puis-je affirmer, à l’examen de ses dessins, que Verlaine était gaucher ?

 Je me contente en fait d’appliquer une méthode dont je ne suis certes pas l’inventeur, mais que j’ai néanmoins contribué à mettre au point et à systématiser, et qui m’a déjà permis d’identifier une centaine de peintres gauchers dans l’histoire de l’art.[1]
En bref, lorsqu’une main droite trace des diagonales, elle le fait spontanément selon une orientation qui va du haut à droite vers le bas à gauche, et réciproquement. Par contre, une main gauche tracera plutôt des diagonales inverses : du haut à gauche vers le bas à droite. Notez en outre que les traits sont renflés différemment : vers la gauche pour la main droite, vers la droite pour la main gauche.
Dans tout dessin, il existe donc une relation quasi-mécanique entre la forme des hachures et la latéralité de leur auteur.

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 Cela me suffit à postuler que Verlaine était gaucher. Le fait que le poète lui-même en fasse état (« …je suis demeuré gaucher dans bien des cas ”, affirme-t-il dans ses Notes sur ma vie) confirme mon diagnostic.

2/Pourquoi mettre en doute l’explication, donnée par l’intéressé lui-même, de l’accident survenu à la main droite ?

 Pour une simple et bonne raison. Si Verlaine avait été pour de vrai un droitier impotent de la main droite, il aurait confié l’exercice – douloureux ! – de l’écriture à sa main gauche et donné libre cours à son penchant naturel lorsqu’il griffonnait ses petits portraits. Le fait qu’on constate l’inverse amène très logiquement à penser que Verlaine écrivait de la « bonne main » parce qu’il y avait été contraint par l’éducation, et qu’il dessinait de la « mauvaise » parce que son être intime le poussait à le faire.
J’ai qualifiée de « fable » l’histoire de la main droite ébouillantée car elle me fait penser à ces nombreux récits que j’ai publiés dans mon Histoire des gauchers. En effet, dans la seconde moitié du 19e siècle tout particulièrement, on refuse de considérer la gaucherie comme une disposition naturelle, congénitale. Elle a forcément, dit-on, une cause pathologique ou traumatique. Tout le monde en est à ce point persuadé que les gauchers eux-mêmes se présentent volontiers comme des victimes de leur gaucherie (espérant sans doute s’attirer ainsi l’indulgence de leur entourage). C’est la grande époque de ceux que j’appelle « les gauchers qui s’ignorent », c’est-à-dire de ces gens sur qui la pression droitière pesait si fort qu’ils en vinrent à refouler leur véritable nature. Pour moi, il ne fait guère de doute que Verlaine est de leur nombre.

Voilà, j’espère avoir bien répondu à vos interrogations.
Mes amitiés gauchères à tous,

P.M. Bertrand

[1] Pour de plus amples détails, je me permets de renvoyer à mon « Histoire des gauchers » (Édition Imago) dont la 3e édition mise à jour vient de paraître.

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