À propos des gauchers célèbres (partie 1)

carte-blanche-2-490lesgauchers.com donne carte blanche à Pierre-Michel Bertrand. L’auteur de « l’Histoire des gauchers », du « Dictionnaire des gauchers » (Édition Imago) et de « Je suis gaucher » (Édition Riv’gauche) nous livre librement ses réflexions, ses découvertes, ses coups de cœur et, pourquoi pas, ses « coups de gueule ».

À propos des gauchers célèbres (partie 1)
J’en ai marre ! Marre de voir circuler un peu partout (et Internet n’aura, sur ce point, fait qu’aggraver les choses) des noms de « célébrités gauchères » qui furent certes célèbres, mais probablement jamais gauchères. Qu’on arrête, de grâce, de ressasser les mêmes contrevérités d’un livre à l’autre, d’un article à l’autre, d’un site à l’autre, sans prendre la peine de vérifier ce qu’on raconte.
Si l’on veut que la cause gauchère soit prise au sérieux, il faut se montrer sérieux.
Tâchons donc, si vous le voulez bien, de tordre le cou à quelques erreurs et étourderies trop souvent commises sur le sujet. Notre vanité de gauchers s’en trouvera peut-être égratignée, mais notre crédibilité, n’en doutons pas, en sortira grandie.
Prenons le cas de Bach. La légende de sa gaucherie provient d’une note du très sérieux Dictionary of music and musicians de Grove (1889) :
« Bien qu’il fût gaucher […], sa précocité musicale était remarquable »[1]
Soit. Sauf que Grove ne parle pas ici du Jean-Sébastien Bach célèbre dans le monde entier, mais… d’un de ses fils (connu des seuls mélomanes) ! Quand on dit que Bach était gaucher, il faut donc préciser Carl Phillip Emmanuel Bach ! Ce qui fait, tout de même, une sacrée différence !
Autre exemple : je ne sache pas, malgré ce qu’on voudrait nous faire accroire, que Jules tibere-131César ait été gaucher. Si l’on compulse les Vies des douze César de l’historien latin Suétone, on comprend d’où provient cette tradition fautive. On y apprend en effet seulement que Tibère se distinguait des autres empereurs romains par sa cruauté (encore que, sur ce plan, la palme lui pourrait être disputée) et par « la force particulière qu’il possédait dans la main gauche ».tibere-131
Ainsi, le César gaucher ne serait pas Caius Julius Caesar, dit communément César, mais Tiberius Julius Caesar, dit Tibère… Et ce n’est pas, là non plus, tout à fait pareil !
Rendons donc à César ce qui lui appartient et cessons de dire des fadaises…

Gauchèrement vôtre,
P.M. Bertrand

[1]Notez au passage ce cliché de langage, typique du 19e siècle, qui suggère que la gaucherie est par définition incompatible avec le talent. Dans son Histoire des peintres de toutes les écoles (1865), Charles Blanc disait à propos de Nicolas Mignard : « Peintre abondant, facile et gracieux, habile praticien, bien qu’il peignît de la main gauche ».
Rendons donc à César ce qui lui appartient et cessons de dire des fadaises…

Gauchèrement vôtre,
Pmb

PS – Dans ma prochaine chronique, histoire de passer ma colère, je règlerai aussi leur compte à deux pseudo gauchers : À propos des gauchers célèbres (partie 2)

1er mars 2009
lesGauchers